1.

Grand et athlétique, le colonel David Hudson s’appuyait contre le coffre cabossé d’un taxi Checker[1].

Hudson leva la main, faisant un cercle de ses doigts devant son œil droit, en un simulacre de longue-vue.

Wall Street[2] lui apparut, baignée par la lumière de l’aube.

Il examina ainsi, successivement, le numéro 40 de la rue, qui abritait l’immeuble de Manufacturers Hanover Trust. Le numéro 23, qui regroupait les bureaux de Morgan Guaranty. Puis la Bourse de New York. Trinity Church. La Chase Manhattan Plaza.

Quand il eut une vision nette de l’ensemble, le colonel Hudson referma vigoureusement les doigts.

— Boum, murmura-t-il d’une voix paisible.

La capitale financière du monde disparut derrière son poing contracté.

Boum.

Ce même matin, peu avant cinq heures trente, le sergent Harry Stemkowsky, également connu sous le nom de Vétéran 24, dévalait comme une flèche la chaussée abrupte et verglacée de Metropolitan Avenue Hill, dans le quartier de Greenpoint à Brooklyn.

Il était assis dans un fauteuil roulant de la marque Everest and Jennings, un modèle vieux de neuf ans qu’il tenait du Bureau des anciens combattants de Queens. Pour l’heure, il se plaisait à imaginer qu’il conduisait une Datsun 280 Z décapotable gris métallisé.

— Aah-iii-aaaah ! hurla-t-il d’une voix stridente qui déchira le silence solennel régnant dans les rues désertes au petit jour.

Son menton était enfoui dans le col gras d’une parka de l’armée ornée de galons de sergent à moitié décousus et ses cheveux blonds frisés coiffés en queue de cheval flottaient derrière lui telle une banderole. Il fermait de temps en temps les yeux, que le vent glacial faisait abondamment pleurer. Son visage long et fin, aux traits figés par le froid, était aussi écarlate que le feu rouge de Berry Street, qu’il ignora et grilla dans un abandon total.

Il avait le front brûlant mais il adorait cette sensation de liberté inopinée.

Il avait même l’impression que le sang circulait de nouveau dans ses jambes atrophiées.

La course du fauteuil roulant de Harry Stemkowsky s’acheva finalement devant le Walgreen’s Drugstore, qui restait ouvert toute la nuit.

Sous la parka et les deux gros pulls, son cœur battait à tout rompre. Il était terriblement excité : sa vie repartait à zéro.

Harry Stemkowsky se sentait, ce jour-là, capable de faire pour ainsi dire n’importe quoi.

Il poussa la porte vitrée du drugstore, couverte d’un montage d’annonces publicitaires pour des cigarettes, et fut presque immédiatement enveloppé par un délicieux courant d’air chaud embaumant le bacon et le café fraîchement passé.

Il sourit et se frotta les mains. Pour la première fois depuis des années, il n’était plus un invalide.

Pour la première fois depuis plus d’une dizaine d’années difficiles, Harry Stemkowsky avait un objectif.

Il ne pouvait contenir son sourire. Lorsqu’il songeait à toute l’opération et à l’incroyable portée de Green Band, il ne pouvait tout simplement pas se retenir de sourire.

Le sergent Harry Stemkowsky, messager officiel de Green Band, venait de rejoindre, sain et sauf, sa base d’artillerie au cœur de la ville de New York.

À présent, tout pouvait commencer.

Vendredi Noir
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